Réalisé par Depardon et Nougaret
Que se passe t il quand le peintre entre dans le paysage ?!
Une expérience d'images et de cinéma.
2012 1h 40min
Réalisé par Claudine Nougaret, Raymond Depardon
Avec Raymond Depardon, Claudine Nougaret
Que serait Raymond Depardon sans le monde, c'est dire sans Claudine Nougaret qui en remonte les images ? Et le monde serait-il le même sans Depardon ?
Parlant de France ils parlent du monde parce qu'ils sont deux. Du territoire à l'horizon, du présent à l' histoire, du corps au regard. Qui éclaire l'autre ?
NOS COMMENTAIRES APRES LE FILM
Hélène :
Une histoire d'amour comme au cinéma - mais quand même
une peu comme dans la vraie vie (enfin pas tout à fait ) : chouette!
Michèle
Une vraie histoire d'amour, de partage, d'attention et de
complicité comme dans la vraie vie.. Un film enchanteur
Alain :
Un film Merlin et Mélusine
Michèle
Barouder, baguenauder, observer, prendre le pouls du monde,
l'interroger....
Aimer la vie, aimer les gens ; les accepter tels qu'ils
sont.
Le regard bleu de Depardon a une poussière d'enfant. Entre
chien et loup, le trépied se pose pour mieux voir.
Elise
Un film enchanteur... oui Michèle... des images, des
couleurs qui captent...
Un Merlin et une Mélusine que l'on apprécie suivre sur les
routes de France, raconter l' Histoire... celle qui les a marqué... Et puis,
j'aime cet instant entre chien et loup : c'est un moment magique (décidément),
apaisant... Merci Alain et Michèle pour cette séance... et merci Raymond et
Claudine pour ce beau voyage...
Alain
Le rapport de l'image fixe et du mouvement dans un rapport
paradoxal qui s'appelle FAIRE UN CADRE. Les campagnes sont comme un volant de
l'immuable, une métaphore dans le film de l'héritage, du fond d'où nous venons.
C'est l'image de ceux qu'on prend en photos sur le même banc de village 20 ans
après. Je me souviens des vieux du village de ma mère - elle gardait les bêtes
comme les parents de Depardon. Et des pensionnaires de "l'hospice"
qui regardaient passer les gens. Mais aussi de tous les habitants qui l'été
sortaient leur chaise pour papoter le soir dans les ruelles de la ville, comme
on le fait aujourd'hui dans les bistrots. De ces figures typiques qu'on voit
pendant des années qui font vivre la petite ville. L'odeur des rues, des
cuisines latines, magrébines, celle des vieux murs et on imagine l'odeur de la
la pisse ou bien les crottes de chiens mêlées à celles des arbres et des
jardins.
Raymond bouge dans l'immobile. Il capte le cadre dans le
mouvement aussi bien que le mouvement de l'immobile. Ses images font la
synthèse entre le français Eugene Atger photographe du Paris sans les gens, et
l’américain Robert Frank sillonnant l'Amérique. C'est ce que l'on voit
"dans le fond" dans un dispositif comme "10 ème chambre" :
le cadre fixe de institution judiciaire dans ces murs qui revient de loin dans
l'histoire quand on voit la tenue des officiers de justice. Et dans ce cadre la
vie des interpellés autant que celle des juges interpellant. De même les murs
de l'asile de l'île de San Clemente proche de Venise, ou bien ceux de l'hôtel
Dieu dans "Urgences". La vie et l'humain ne viennent pas ex nihilo,
il y a de l'histoire, de la transmission des instituions, des rites, des codes,
une France, des Frances, et au-delà le monde quand elle s'étend dans ses
colonies. Immobilité dans le voyage ou mobilité dans l'instant : par exemple
dans le portrait de Mandela silencieux sur lequel nous avons projeté des
émotions différentes. L’image-mouvement du cinéma est plus que la somme des 25
photographies à la seconde. Rodin s'en explique lui-même, qui dit que seul
l'art peut traduire le mouvement. La vérité n'arrive que par déformation de la
réalité. "Le constat" c'est la mort du devenir, du désir, la mort du
mouvement et de la vie, l'apanage du totalitarisme. Ce journal de Depardon et
Nougaret est la fiction de leur vie, le conte de leur collaboration ; leur
film, ne serait pas acte d'amour s'il n'y rentrait de l’affabulation. Quand
Claudine sert de cadre Raymond fait mouvement. Quand Raymond fait son cadre
dans son mouvement, Claudine fait l'histoire du mouvement, ce qui veut dire
introduire un mouvement dans le mouvement, un bougé dans le bougé pour ne pas
se transformer en mouette de Raymond devenue floue. La parité du couple c'est
que cela puisse s'inverser, chacun à sa place et peu importe qui est dessus ou
dessous, dès lors que virtuellement cela puisse changer. Dans l'ensemble peu
importe qui bouge. En revanche pas question de rester ensemble dans 2m2 de
camping-car à subir le rythme de l'autre. Plus on s'éloigne plus on se
rapproche.
Commentaires divers :
Projet de 30 ans
Ce film est un projet de longue date, de trente ans plus précisément.
Raymond Depardon reprend, avec Journal de France, un projet avancé par la
Délégation interministérielle à l'Aménagement du Territoire et à l'Attractivité
Régionale (DATAR), et qu'il a pensé mettre sur pied à la fin des années 90,
avant de se rétracter. Finalement, il partira sur les routes de France de façon
régulière entre 2004 et 2010, à bord d'un camping-car, pour prendre des prises
de vues des différents endroits, individus et situations se présentant.
Note d'intention
Fasciné par le territoire français, Raymond Depardon justifie son projet
par une envie de réunir les grandes dynamiques historiques et culturelles du
pays : "J’ai visité des lieux très différents, où parfois l’histoire n’a
rien de commun d’un "pays" à un autre. Cette distance que je me suis
imposée, techniquement et formellement, m’a permis de passer au-dessus des
spécificités régionalistes et d’essayer de dégager une unité : celle de notre
histoire quotidienne commune."
Le tour de France
Pour la réalisation du film, le cinéaste Raymond Depardon traversa plus
de 65 départements à bord de son camping-car, toujours accompagné de deux
chambres grand format (de dimensions 20x25 cm), qui sont d'imposants appareils
de prises de vues.
Bande originale
Journal de France possède une bande-originale éclectique et haute gamme
pour un documentaire, car s'y côtoient notamment Patti Smith, Gilbert Bécaud,
Alain Bashung et les morceaux du célèbre compositeur français Alexandre
Desplat.
3 000 clichés !
Avant d'aboutir à ce film, le travail de recherche de Raymond Depardon
eut droit, dans un premier temps, à une exposition à la Bibliothèque Nationale
de France en 2010, intitulée "La France de Raymond Depardon", qui
était une compilation de plus de 3 000 clichés.
Première dame
Collaboratrice de longue date de Raymond Depardon, Claudine Nougaret est
notamment connue pour son travail de chef opératrice du son (sur Le rayon vert
d'Eric Rohmer ou Double messieurs de Jean-François Stévenin). Elle fut
d'ailleurs la première femme à exercer cette profession (au cinéma) en France.
La Quinzaine des Réalisateurs
Journal de France marque la quinzième collaboration de Raymond Depardon
avec sa productrice, ingénieur du son et épouse Claudine Nougaret. Le couple de
cinéastes a même fondé la boite de production Palmeraie et Désert en 2001, qui
s'occupe de tous leurs films.
Entretien : avec Claudine Nougaret
Elle est sa compagne et son opératrice sonore depuis vingt-cinq ans,
également sa productrice épisodique, depuis quinze ans. Étrangement, Claudine
Nougaret, femme volubile, reste souvent en retrait par rapport à Raymond
Depardon, homme d'une discrétion légendaire. Dans le film « Journal de France
», elle l'a persuadé d'interpréter un photographe de génie qui sillonne les
routes de France pour une commande de la BNF (1) et qui s'appelle… Raymond
Depardon.
Des extraits inédits de sa filmographie fleuve (de 1969 à 2004) rythment
ce docu-fiction original où l'auteur de la photo officielle de François
Hollande dans les jardins de l'Élysée, poursuit une réflexion sur l'image et
l'éthique qui infuse son œuvre.
Comment Raymond Depardon, cinéaste de
l'effacement, s'est-il retrouvé jouant un personnage de film ?
Claudine Nougaret. Il n'avait pas trop envie. Au départ, il voulait juste
exhumer quelques extraits de ses archives, mais je lui ai dit qu'il allait nous
raser avec ses trucs de vieux combattants. Je pensais qu'il fallait conserver
une trace de ce voyage en France, tout en effectuant un aller-retour dans ses
archives. Ne faut-il pas avoir entrepris tout ce qu'il a fait pour savoir photographier
la France ainsi ? Je crois que si. C'est ce parcours-là que je raconte et aussi
la manière qu'a Raymond de travailler. C'est un film qui donne des arguments
pour une discussion sur le regard. Je crois que cela intéresse beaucoup de
monde, tous ceux qui font des photos sur leur téléphone portable, par exemple.
Est-il facile à diriger ?
On se dispute beaucoup en travaillant. On se parle, du moins… Il ne lâche
pas beaucoup de mots dans le film. Il s'exprimait au passé et je voulais qu'il
parle au présent. On voulait une forme dynamique, éloignée des bonnes histoires
de l'Oncle Ray. Nous sommes partis avec une équipe de quinze personnes. C'est
de la fiction. Il porte un costume, un bonnet. Il explique ce qu'il faut faire
ou pas, c'est de la mise en scène.
Lorsque, assis dans son camion, il dit « attention à la belle lumière
flatteuse », n'est-ce pas un résumé de son art photographique ?
Tout sauf la carte postale. C'est le credo de l'agence Magnum qu'il a
rejoint en 1979, douze ans après avoir créé Gamma. C'est une recherche de
l'essence de la photographie, une quête de la vérité, pas du beau. Nous avons
enchaîné cette scène avec celle où Giscard écoute Mahler. Il voulait que
Raymond mette de la musique sur son documentaire (NDLR : « 1974, une partie de
campagne ») alors que le son original, moins beau que Mahler, est quand même
bien plus intéressant… D'où une partie de leur désaccord à l'époque et le
blocage de la sortie en salle du film. Il a finalement été édité en DVD, en
2002.
La différence de traitements des photographes de presse dans la cour de
l'Élysée, entre 1974 et aujourd'hui, n'est-elle pas frappante ?
Le pouvoir n'avait pas peur de la presse à l'époque, elle était muselée.
Plus libre aujourd'hui, on la parque derrière des barrières. C'est paradoxal.
Désormais, les communicants sont partout. En fait, on retrouve dans la cour de
l'Élysée ce à quoi on assiste à Cannes : les politiques sont filmés comme des
people puisque ce sont souvent les mêmes photographes, les mêmes simagrées, les
mêmes robes.
Les images de chars soviétiques à Prague étaient-elles sonores ?
Non, Raymond s'est mêlé à la foule avec sa caméra mais sans preneur de
son. On a ajouté la musique de Szymanowski qui accompagne bien l'émotion de
Raymond à ce moment-là. Ces images n'ont jamais été vues, Raymond les a
découvertes il y a deux ans. Elles sont d'une beauté extraordinaire, elles
symbolisent la résistance, le courage des Praguois et aussi celui du
photojournaliste qui court devant les tanks.
Dans « Journal de France », on voit une France sans beaucoup d'habitants…
C'est vrai que ressort une impression d'immobilité. Cet appareil
nécessite un temps de pause long, si quelqu'un passe devant, il apparaît flou.
Il y a très peu de monde dans le cadre alors le pays paraît vide, démesurément
calme.
D'où vient ce respect qui entoure Raymond Depardon ?
Ce doit être la reconnaissance de l'expérience. Raymond fait des photos
et des films pour que le spectateur prenne confiance dans son propre jugement,
pas pour imposer son regard. Peut-être le spectateur le sent-il. Nous avons nos
opinions, et je crois qu'il n'en a jamais changé. Il est fidèle à lui-même et
les gens, ça aussi les gens le sentent…
« Journal de France », de Claudine Nougaret et Raymond Depardon. En salle
mercredi.
« Il y a très peu de monde dans le cadre alors le pays paraît vide,
démesurément calme » C. Nougaret
Raymond Depardon a longtemps hésité. Images fixes ou animées ? Il s’est
lancé avec son Leica, tout en filmant secrètement, pour se faire la main, les
mouvements de la vie qui va : le populo qui court vers le boulot, une fête
foraine, un mariage à la mairie… Avant de se décider à être à la fois
photographe et cinéaste.
Un jour, Raymond Depardon, après un demi-siècle de barouds (le plus
souvent dans les déserts africains), de reportages de guerre, de films
documentaires et de fiction, a eu « besoin de silence après toutes ces années passées
à écouter les autres ».
Aujourd’hui, il sillonne l’Hexagone, au volant de son camping-car, pour
tirer le portrait de la France. Il se balade avec son barda : trépied,
volumineux appareil avec rideau noir, prises de vues « à la chambre », sacoche pour
le matériel et bonnet sur la tête.
Il se pose là où son regard le conduit. En proie parfois, entre chien et
loup, au blues existentiel du voyageur.
L’œil aux aguets, il affectionne les décors tristes et banals des
villages perdus où personne ne prend guère le temps de s’arrêter. Le suranné
l’attire, comme une fidélité secrète à son passé de petit paysan, élevé dans
une ferme, au bout des chemins.
Il se coule dans la longue patience des heures. Sa méthode n’a pas varié.
Elle passe par l’écoute et le regard.
Depuis plus de cinquante ans, des « chutes » inédites de ses premières
prises de vue dormaient dans sa cave et le hantaient. Bribes de mémoire
abandonnées que Claudine Nougaret (qui travaille avec lui depuis un quart de
siècle) a remontées des profondeurs :
elle les commente dans un film hommage (1) auquel le Festival de Cannes
a réservé, hier, l’honneur d’une « séance spéciale ».
Moisson d’images qui rappellent d’où vient et où va cet artisan discret
dans ses pérégrinations de chemineau. Perdu dans la contemplation du monde, à
sa façon, Raymond Depardon est un explorateur et un portraitiste de paysages.